Quand Renzo Piano et Richard Rogers remportent le concours d'architecture pour le Centre Pompidou à Paris en 1971, le jury, composé d'illustres architectes tels que Oscar Niemeyer ou Philip Johnson et présidé par Jean Prouvé, perçoit rapidement les qualités essentielles de la proposition. Le principe d'hyper flexibilité de l'équipement donne naissance à une architecture singulière et inédite. Flexibilité et singularité pourraient sembler antinomiques, pourtant, en réunissant ces deux qualités en un seul projet, les architectes, proposaient plus qu'une forme, une vision nouvelle de l'équipement culturel.Ils s'apprêtaient également à transformer profondément et durablement tout un quartier de la capitale.
C'est avec la même soif d'innovation que Le Corbusier édifie dix ans auparavant son unité d'habitation, dans la forêt de Briey. Ici aussi, plus qu'une forme pour elle-même, c'est avant tout une nouvelle manière de concevoir la ville qui est construite.
Le Troisième Lieu, par son intitulé, annonce d'emblée l'ambition de réinventer le programme de la médiathèque. Il ne s'agit donc pour nous, pas tant d'inventer une forme au risque qu'elle ne se substitue au programme, mais plutôt de déduire la forme du 3e lieu, au regard des besoins de flexibilité, de l'envie de prolonger l'espace public au-delà des murs, de déambuler, flâner avec une simplicité accueillante, qui se plie aux envies des utilisateurs.
Un boulevard ordinaire, un coteau boisé
En 1960, afin de relier l'unité d'habitation au centre ancien, un boulevard est construit (rue Albert de Briey), autour duquel se développe un tissu rationnel, constitué d'équipements (lycée, hôpital...), complété à la fin de XXe siècle par l'incontournable vague pavillonnaire. Une situation urbaine finalement ordinaire.
Le quartier se situe en partie haute d'un coteau, dont les parois sont fortement boisées, de forêts de hêtres notamment. L'univers paysager de la forêt est riche d'espaces variés qui alternent entre abondance et absence de végétation ; futaie, taillis, lisière, clairière...
A Briey-en-forêt, il nous a semblé comme évident de puiser dans cette rhétorique et dans le panel d'espaces et d’espèces, pour végétaliser le quartier. D'autant qu'une trame verte préexistante (cimetière, alignements d'arbres, jardins d'agrément), donne l'occasion de renouer les « corridors verts » et d'intensifier la biodiversité.
Nous décelons donc plusieurs enjeux ;
- le projet politique qui consiste à tisser les différents quartiers et leurs populations respectives en un lieu de convergence
- le projet paysager qui réinterroge le relief et la couverture végétale alentours
- le projet urbain qui propose de faire muter un quartier initialement conçu pour la voiture vers des espaces publics piétonniers et circulations douces
- le projet architectural qui ambitionne de doter la ville d'un outil performant qui incarne la culture- les cultures- à Briey
Le parti architectural retenu
Le bâtiment est conçu comme une grille, un système. Un outil de culture et de citoyenneté pourrait-on dire. Le couteau suisse ? Drôle de nom ! La machine ? Pourquoi pas. Le troisième lieu. C'est déjà très évocateur !
Le bâtiment est conçu comme une structure, libre de porteurs. Les gaines techniques et les circulations verticales sont disposées en périphérie du bâtiment. C'est d'abord une réponse apportée aux attentes spécifiques en matière flexibilité, d'évolutions des usages, des supports de la médiathèque, des pratiques artistiques.
C'est aussi plus largement une réponse à une question de fond ; combien de vies pour un bâtiment ? En effet, nous constatons aujourd’hui avec la vague de rénovation que nous traversons, qu’une construction doit anticiper les évolutions à 10, 20, 30 ans. Réaménagement, extension, surélévation … un jour ce 3ème lieu deviendra-t-il un immeuble de bureaux, des logements séniors ou une halle de marché ? Proposer une structure évolutive, c'est anticiper l'avenir et faire, de manière simple, du développement durable.
Nous avons souhaité que le bâtiment affiche clairement son appartenance à une génération de constructions attentives à leur environnement.
La structure de la travée centrale est en bois d'épicéa. Ces arbres sont cultivés et transformés en Lorraine. Nous proposons ainsi de valoriser des filières locales ; ressources, savoir-faire... Cette structure en bois est protégée des intempéries par des façades en métal et en verre, comme l'écorce qui protège le tronc. On obtient ainsi une forme d'aspect homogène qui contient un programme pourtant très varié.
La volumétrie restitue fidèlement le programme en accordant une place importante à la fonctionnalité. Ainsi, l'idée d'un socle poreux, qui met en lien les espaces entre eux et avec l'extérieur (espace de vie, enfants, animation, fablab, parvis, patio), s'est imposée rapidement. Il est surmonté en partie centrale de deux niveaux qui font émerger le 3ème lieu : un premier étage destiné à l'espace de consultation et un deuxième étage, comprenant les services internes, qui s'illumine à la nuit tombée. Une succession d'espaces (cour, gradin, passerelle, terrasses) dotent les deux premiers niveaux de prolongements sur l'extérieur et proposent un parcours en plein air.
La forme proposée est délibérément simple. Il nous semble en effet que l'ère des bâtiments « vedettes » n'a plus beaucoup de pertinence dans un contexte qui rappelle constamment le besoin de sobriété économique, environnementale mais aussi formelle.
Une architecture doit traverser les décennies, sans dater et sans avoir besoin d'y revenir à grands frais. Un bâtiment est conçu et construit non par des machines, mais par des hommes et des femmes. Il est ainsi plus évident pour l'architecte, l'ingénieur, l'ouvrier.Moins cher aussi car plus simple et rapide à construire. Pour les utilisateurs, des espaces simples sont propices à des modifications ultérieures et des aménagements qui évoluent. Un bâtiment simple est enfin plus accessible, car plus compréhensible par une majorité. Il place ainsi la culture à la portée de tous.
« Les enfants s'agitent à monter une pièce de théâtre dans la fenêtre alcôve, une conférence éclaire l'espace d'animation. Un rassemblement dans l'espace de vie ? Etonnant, hier encore on y voyait des lycéens installés ici et là. Pendant ce temps, au fablab on travaille, comme si de rien n'était.A l'étage, la salle de consultation est studieuse. Au dernier, le personnel s'agite à programmer la saison culturelle à venir. Du patio retentissent des applaudissements ; un spectacle vivant ? Une affiche disposée sur la façade lève les doutes ; bien sûr ! c'est impressions d'architecture, le salon annuel du livre ».