1 un projet d’urbanisme
Ce projet d’arbre à libre nous a particulièrement captivé car il réunit la petite échelle, du meuble, (ou plutôt de la micro-architecture comme nous aimons l’appelé) et celle de la ville.
Comment une petite construction de 3 m2 peut diffuser de la culture mais aussi interagir avec la ville, et avec ses habitant ? Penser global / agir local.
2 occuper l’espace publique
Nous avons donc quelques expériences et positions sur cette idée d’occuper l’espace publique.
Il ya deux ans nous avions notamment conçu la grande arche du forum de la construction bois qui était resté une semaine sur le parvis du centre des congrès.
Par ailleurs, nous sommes aussi membres fondateurs et actifs de l’association bol et mix. Nous organisons la fête de la soupe depuis 10 ans.
La fête de la soupe est un festival itinérant qui nous a permisd’occuper divers quartiers de la ville de Nancy, dont cette place du marché, il y a 4ans, flambant neuve à l'époque..
Il y a une phase trés particulièreslors de ces occupations : C'est la phase d'installation
Ce moment où l'on déboule avec nos caisses, nos matériaux et où l'on "installe le campement"
Lors de cette étape nous sommes en action mais la vie continue autour de nous. Nous sommes occupés et les passants s'étonnent, s'intriguent et n'hésitent pas à approcher, questionner, aborder, parfois aider
C'est un moment parfait d'échange, d'explication de ce qui est en train de se passer. Et il y a aussi là une intention de préfiguration très simple et conviviale.
De plus nous prenons un malin plaisir à construire des choses que nous avons inventé, inhabituelles mais très peu sophistiquées. Et en tant qu'architectes, nous aimons cette "didactique constructive", le low tech, la référence aux savoirs faire traditionnels, ce que nous nommons l'ingénieuse simplicité.
3 plus qu’un meuble une petite architecture
Venons en maintenant à cette petite architecture. L’arbre à livre évoque l'univers constructif de la voute, de l'arc, en tant que procédé architectural antique.
Construire un édicule sur une place, à Nancy, était l’occasion de créer un dispositif didactique pour le public.
Nous faisons référence au travail de Louis kahn. Architecte américain de l’après guerre qui avait une approche très engagée sur la nature profonde des matériaux.
Louis Kahn prend une brique dans la main et a dit : Brique ! Qu’est ce que tu veux être brique ?
Et la brique répondit : « je veux être un arc ! »
La brique veut être un arc car c’est là qu’elle est la plus forte, la plus belle, la plus éclatante.
Et louis Kahn a beaucoup mis en œuvre des arcs en briques avec différentes forme de ceintre. Souvent il associait ces arcs à une poutre béton en partie basse qui jouait le rôle de tirant, de socle et qui venait accueillir l’arc en ses extrémités.
C’est l’expression que nous recherchons dans le dialogue entre l’assise et l’arc. La courbe tendue du socle répond et accueille la courbe d’avantage fléchiede l’arc qui s’élève.
A travers ce projet d’arbre à livre, nous souhaitons créer une structure authentique et conviviale où le livre apparait comme le module constructif.
Le livre est donc le matériau, il devient allégorie de la brique, de la pierre ... Les livres s’empilent, se structurent, se calent et forment une voûte. Des dizaines de milliers de feuilles de papiers appuyées les unes contre les autres. Le support disparait et seules les tranches apparaissent. Par accumulation, l’ensemble des livres forment un tout, dessinant une architecture.
4 l’espace créé
Accueillante, cette forme courbe crée un lieu propice à la lecture. La concavité de l’espace invite à la rencontre, à l’échange.
Nous recréons un petit espace d’intimité au milieu de cette grande place parfois intimidante.
Les passants s’arrêtent ici pour lire, pour prendre le temps
La grande assise, de par sa dimension, invite plusieurs passants à s’assoir ensemble côte à côte, face à face, dos à dos.La ligne légèrement fléchie de l’assise rapporche les gens etincite à différentes postures inhabituelles. A chacun sa manière de lire : S’adosser, s’accouder, s’allonger, s’accroupir, s’accoler ou s’asseoir simplement pour être seul ou partager les émotions de la dernière lecture.
La forme qualifie donc un espace calibré mais ouvert, un lieu de passage qui refuse le confinement et le replis,un lieu ouvert sur la culture.
5 aller plus loin que la commande : de l’usage participatif
Puis nous nous sommes dit que cet arbre à livre était l’occasion d’aller un peu plus loin.
Que nous avions là de quoi proposer un usage plus participatif, plus collectif en devenant le support de lecture publique : accueillir un lecteur et un petit auditoire
Ponctuellement celui ci peut devenir très simplement une petite "scène" faisant face à quelques assises et accueillir ainsi un conteur, une lecture publique, une récitation de poésie, un débat, un crieur. ...
Des micro-évènements autour de la littérature par lecture sur l'espace public.
Cet emplacement précis nous plait d'ailleurs beaucoup car il croise différents flux et types de personnes (un marché, une place historique, des terrasses de bistrots, un centre commercial, une église)
C'est donc une occasion de s'approprier un petit morceau de ville, de faire se rencontrer les gens et renouer avec cet usage de place publique antique, l’agora, le forum..
6 le fonctionnement
Techniquement c'est trés simple : nous avons "agrémenté" le meuble d'une série de petits tabourets mobiles et démontables
Ces petits tabourets sont rangés, démontés etposés à plat dans le socle du meuble, derrière ces portes de placard fermées à clé.
La clé est disponible à un endroit déterminé (par exemple la MJC Lillebonne) sur simple demande. Le conteur/ lecteur/ l’association a la responsabilité de monter les petits tabourets avec les personnes de son auditoire. Il suffit d'enrouler la plaque souple autour des deux plaques rigides, puis glisser la clé en bois et la pivoter pour maintenir en tension. Quelques minutes suffisent. C’est plus facile de le faire à deux, et c’est tant mieux. Nous pouvons aussi disposer dans le meuble une petite notice de montage illustrée.
Cet acte de construction est souhaité. Comme je le disais plus tôt, nous sommes très attachés à ce type d'instants préparatoires, ces préliminaires d’installation pour occuper un petit morceau d'espace public
Le petit côté "bricolé" avec emboitement bois est très simple, robuste, ludique et parle à tout le monde.
Cet acte de construire intrigue les passants qui s'interrogent sur ce qui est en train de s'organiser. Ils s’arrêtent, observent, questionnent et choisissent peut être d’assister à la lecture.
A la fin de l'évènement le lecteur/conteur est responsable du démontage. Avec le groupe, il range tous les éléments et rapporte la clé.
Nous avons contacté plusieurs associations nancéennes qui nous semblaient être de potentiels utilisateurs de ce nouvel « outil » publique de diffusion de la lecture, : Lecturique, Culture et bibliothèques pour tous, les amis de la poésie.
Le besoin et l’envie sont bien là. Nous pourrons en discuter tout à l’heure.
C’est donc avec un immense plaisir (et un peu d’inquiétude car nous espérons que l’idée est bonne, que le dispositif fonctionnera) que nous livrons cet arbre à livre qui, nous l’espérons, jouera également son rôle d’arbre à palabre
REMERCIEMENTS
Nous remercions la ville de Nancy, M. Le Maire, Mme Redercher, M.Vuitton, le service culture et M. Pierre Mac Mahon qui a suivi de près ce projet méticuleux.
Nous vous remercions d’avoir choisi la complication. Organiser un appel à projet, un concours pour la conception de cet arbre à livre est une belle idée mais ce n’est pas une mince affaire. Cela prend du temps, nous l’avons tous éprouvé. Je suis moi-même responsable des deux derniers mois de retards, mea culpa.. Mais ce temps est souvent nécessaire pour porter des idées à maturité et réunir l’adhésion de chacun.
Et pour finir nous remercions chaleureusement M. Herszberg de ce cadeau fait à la lecture publique. Nous vous remercions aussi de nous avoir fait confiance et nous sommes très heureux d’avoir croisé votre route. Vous aimez lire, vous aimez la culture, vous aimez l’histoire et vous le communiquez admirablement bien. Vous êtes le témoin d’une époque, de douleurs et d’espérances. Et nous comprenons parfaitement cet arbre à livre comme le témoignage de souvenirs qu’il est urgent de ne jamais oublier.